Et si penser trop, c’était juste avoir trop survécu ?

Mon cerveau est toujours en surchauffe. Et maintenant, je comprends pourquoi.
"Je suis fatigué, patron, fatigué de devoir courir les routes et d'être seul comme un moineau sous la pluie... Fatigué d'avoir jamais un ami pour parler, pour me dire où on va, d'où on vient et pourquoi... Mais surtout, je suis fatigué de voir les hommes se battre les uns contre les autres. Je suis fatigué de toute la peine et la souffrance que je sens dans le monde." – John Coffey. La ligne Verte
Je suis quelqu’un d’intuitif.
Je ressens beaucoup, très vite.
Je capte les intentions, les non-dits, les ambiances…
Mon cerveau n’arrête jamais. Même quand j'essaie de l'ignorer.
Même quand tout va bien, même quand tout est calme.
Même quand je suis heureuse.
Il analyse. Il scanne. Il revient sur chaque détail.
Il veut comprendre.
Pourquoi j’ai dit ça ? Pourquoi il a fait ça ? Est-ce que j’ai bien réagi ? Est-ce que c’était juste ? Est ce que je lui ai fait de la peine ? Est ce qu'il souffre ? Pourquoi il réagit comme ca ? Est ce que c'est ce qu'ils attendent de moi ? Pourquoi est ce qu'il y a des gens qui dorment dans la rue ? Pourquoi est ce qu'il y a autant d'injustice sociale ? Quelle est la dette karmique qu'ils sont en train de payer ? Pourquoi ces enfants sont tous seuls ? Ou est l'adulte qui est censé les surveiller ? Pourquoi ils ont pas organisé la queue dans ce sens la c'est pas logique du tout...
Parfois, je suis dans une belle journée, avec des gens que j’aime, et mon esprit, lui, est ailleurs.
Il a enclenché le mode vigilance parce que j'ai vu un truc qui bougeait bizarrement dans mon champs de vision périphérique.
Et franchement… c’est fatigant.
Longtemps, j’ai cru que j’étais comme ça. Que j’étais juste trop cérébrale.
Mais un jour, j’ai compris.
Ce n’est pas ma personnalité.
Ce n’est pas une lubie.
Ce n’est pas un bug.
👉 C’est une trace. Un réflexe. Une mémoire.
C’est un symptôme post-traumatique.
Parce que quand t’as grandi dans la peur, ton cerveau apprend à surveiller.
Quand on est arrivés en France, après le foyer d’accueil, on a été envoyés dans un quartier insalubre.
Je me souviens encore des invasions de cafards dans l’appartement, de la cave où mes parents m’envoyaient jeter les ordures, et de la peur panique que ça déclenchait.
Rien que de dire “la cave”, j’ai encore la chair de poule.
Un endroit sombre, sinistre, malodorant, où je ne savais jamais sur qui j’allais tomber.
Quand c’était à moi de descendre, mon cœur battait si fort qu’il pouvait exploser.
J’appuyais sur l’interrupteur, et je savais que j’avais quelques minutes avant que la lumière s’éteigne toute seule.
C’était une course. Une descente aux enfers.
Peut-être que ce n’était pas si lugubre objectivement,
mais du haut de mes 8 ans, c’était l’enfer.
Un jour, j’ai été attaquée par 5 gamins de l’immeuble. Mes voisins du dessous en plus.
Je ne sais pas ce qui s’est passé en moi, je faisais déjà du kung-fu, l’adrénaline a tout pris.
Je leur ai mis une raclée. Je suis rentrée en courant.
Je n’en ai jamais parlé.
Mais ils ne m’ont plus jamais embêtée.
Ils me respectaient même. C'était une sacrée raclée, merci l'adrénaline.
Et puis il y avait l’ascenseur.
Toujours en panne, froid, gluant, il puait la pisse tout le temps.
Je fais encore des cauchemars parfois.
On entendait des histoires sur les violeurs dans les ascenseurs.
Chaque fois que j’y entrais, mon cerveau entrait en mode alerte maximale. D'ailleurs je ne prenais que très rarement l'ascenseur.
Tous mes sens étaient en éveil.
Je ne le savais pas encore, mais j’étais déjà en état d’hypervigilance chronique. Parce que sinon c'était la cata.
J’ai fait tomber mes deux petits frères, chacun leur tour.
L’un d’un vélo : il a pissé le sang, une autre fois il s'est ouvert le front, re-pissage de sang.
L’autre du lit : la marque de ses dents est carrément restée gravée sur le cadre.
Et puis moi…
J’ai eu deux doigts de la main gauche tailladés parce que j’avais laissé traîner un cutter.
Mon petit frère l’a vu, il l’a pris.
J’ai voulu le récupérer.
Et au moment où j’ai tendu la main, il a ouvert la lame...
Il n’y avait aucun adulte autour de nous.
Je pissais le sang.
Et avec ma voisine, qui avait le même âge que moi, on a juste eu le réflexe de mettre mes doigts sous l’eau du robinet, pour ne pas salir tout l'appart.
Je ne sais pas combien de litres de sang j’ai perdu avant qu’un adulte ne rentre à la maison.
Mais dans tout ça, je ne craignais pas pour mes doigts.
Ce qui me faisait le plus peur, c’était la réaction de mon père, pour avoir mis du sang partout.
J’avais toujours moins de 10 ans.
C’est fou, comme à cette époque-là, les parents…
Et puis il y a eu le reste.
Ma confiance trahie. Mon innocence volée.
À des moments où j’avais baissé la garde.
Parce que je voulais croire qu’on pouvait m’aimer sans me faire de mal.
Et puis la vie à Paris…
Les hommes qui te suivent dans la rue, qui t’encerclent, qui te traquent jusqu’à chez toi.
Pendant des années, j’ai vécu avec ce cerveau en alerte.
Toujours prêt. Toujours tendu. Toujours en train d’anticiper.
Et maintenant que j’ai un appart que j’aime, une fille que j’adore, un job bien payé, un cadre de vie safe et agréable et même des moments de vraie gratitude…
Mon cerveau continue.
Il croit encore qu’il doit veiller.
Il pense que s’il relâche… il va se passer quelque chose.
Que je vais être prise au dépourvu. Blessée. Trahie. Abandonnée.
Et j’en ai marre.
"Je suis fatigué, patron."
Fatiguée de penser tout le temps.
Fatiguée de devoir toujours comprendre, toujours anticiper, toujours être en éveil.
Et aujourd’hui, j’essaie autre chose. J’essaie le relâchement.
Pas tout le temps. Pas parfaitement.
Mais petit à petit, je me dis :
“Tu n’as plus besoin de tout comprendre.”
“Tu peux vivre l’instant.”
“Tu peux te laisser aller sans avoir peur de tomber.”
“Je suis en sécurité ici et maintenant.”
Je n'ai aucune visibilité sur ce que sera ma vie dans 6 mois, ou même dans 4 mois en vrai, mais j'ai dis à mon enfant intérieur :
“T’as tenu bon trop longtemps. Maintenant tu peux respirer.”
Si toi aussi, ton mental est en surchauffe…
Si tu ressens tout, tout le temps…
Si tu suranalyses chaque détail de ta vie même quand tout va bien…
💛 Sache que tu n’es pas seule.
Tu as été forte trop longtemps.
Tu t’es adaptée au chaos.
Et maintenant, tu peux apprendre à désactiver l’alerte.
Tu n’as pas besoin de tout analyser pour mériter la paix.
Tu peux apprendre à vivre sans disséquer.
À ressentir sans expliquer.
À exister sans prouver.
Et à aimer sans contrôle.
C’est ça, la vraie liberté.