Apprendre à recevoir : pourquoi est-ce si difficile pour nous ?

"Ce qu’il y a de plus difficile dans l’amour, ce n’est pas de le donner, c’est de se sentir digne de le recevoir." — Lise Bourbeau
Je te parle à toi, la femme forte.
Celle qui gère. Celle qui anticipe. Celle qui se débrouille.
Pas toujours parce qu’elle l’a choisi, mais souvent parce qu’elle n’avait pas le choix. Je te vois.
C’est étrange quand même.
Recevoir, en théorie, c’est censé être simple.
Presque instinctif.
Et pourtant… pour moi, ça a toujours été l’une des choses les plus inconfortables.
Et je t’imagine, comme moi, recevoir une attention.
Un petit mot doux. Un geste gentil.
Et dire tout de suite :
“Oh mais fallait pas…”
Pas par fausse modestie.
Pas pour faire genre.
Mais parce que ça te met mal à l’aise.
Parce que t’as rien prévu en retour.
Parce que tu penses qu’il faut rendre, compenser, mériter.
Parce que dans ta tête, recevoir te met en dette.
Moi aussi je réagis comme ça. Trop souvent.
Un jour, je raconte à un ami combien j’ai été touchée par un collègue.
On était à une soirée d’entreprise, et il a eu des petites attentions tellement simples, mais tellement rares dans ma vie.
Il appelait les serveurs pour moi sans que je n’aie besoin de le faire.
J’avais adoré le dessert, et il a réussi à m’en faire avoir une deuxième part sans que je le demande.
Ça m’a profondément touchée.
Et mon ami m’a répondu direct :
“Mais tu sais que c’est juste normal ce qu’il a fait ? C’est la base.”
La base.
Mais “la base” de quoi ?
Parce que moi, cette base-là, je ne l’ai jamais apprise.
J’ai grandi avec l’idée que la gentillesse était une rareté.
Un bonus. Un luxe. Quelque chose qui se mérite.
Et même les gestes les plus simples, je ne sais pas les recevoir.
Y'a pas longtemps, je prends un taxi avec un ami.
Il m’ouvre la porte.
Je monte, et par réflexe, je me décale pour qu’il puisse s’asseoir.
Et lui me dit avec un sourire :
“Ha c'est sympa de te décaler.”
J’aurais même pas pensé qu'il m'ouvrait juste la porte à moi et qu'il aurait fait le tour pour monter.
Je ne sais pas reconnaître un geste désintéressé.
Je ne suis pas habituée à ce qu’on fasse attention à moi sans raison.
Sans que je le demande.
Sans que je le mérite.
Et là, je me suis dit... encore une croyance à déconstruire.
👉 “Il faut mériter la gentillesse.”
👉 “Recevoir sans donner me rend coupable et égoïste.”
Mais cette croyance, je ne l’ai pas inventée.
Elle ne vient pas de nulle part.
Elle vient d’un passé où recevoir n’était pas une habitude. C’était une exception.
Chez moi, l’amour était pudique.
Pas parce qu’on ne s’aimait pas.
Mais parce que dans ma culture (asiatique), à cette époque, on ne montrait pas ses sentiments.
Pas de gestes tendres. Pas de mots doux.
Ça ramollit, paraît-il.
Et il fallait qu’on soit forts.
Alors on apprenait à se taire. À faire. À ne pas déranger.
Et à 9 ans… j’étais déjà cette petite adulte.
Ma mère commençait à travailler à 5h du matin.
Mon père, lui, rentrait du travail à 5h du matin.
Ma grande sœur allait déjà au collège, et elle devait partir plus tôt que moi.
Alors moi, du haut de mes 9 ans, je me levais seule.
Je préparais mon petit frère, encore nourrisson, pour le déposer chez la voisine.
J’emmenais ensuite mon deuxième petit frère à la maternelle.
Et je courais jusqu'à mon école pour ne pas être en retard.
Le ventre vide.
Souvent pas lavée.
Même pas les dents brossées.
Parce que j'étais fatiguée, parce que je voulais dormir jusqu’au dernier moment.
Et qu’à cet âge-là, j’avais déjà intégré qu’il fallait faire des choix : manger ou dormir. Se préparer ou tenir.
Je ne demandais rien. je me suis jamais plainte.
Je voulais juste montrer que je gérais.
Que je n’étais pas un fardeau.
Que je pouvais me rendre utile.
Parce que je voulais leur amour.
(Ma blessure du rejet, si tu veux en savoir plus lis ce post)
Et le pire, c’est que…
je ne me souviens pas d’avoir reçu un simple “merci”.
Pas par méchanceté.
Mais parce que chez nous, c’était comme ça. On fait ce qu’il y a à faire. Point.
Et cette croyance, je l’ai portée dans mes relations.
Je suis restée 14 ans avec le père de ma fille.
Et j’ai bien passé 10 ans à me sentir seule à deux.
Je me souviens d’un jour où, je vais le rejoindre dans un bar avec ses potes.
Il commande à boire pour tout le monde.
Et à moi il dit :
“Va voir au bar ce qu’il y a sans alcool, je sais pas.”
J’étais enceinte. C'était le moment de ma vie où j'étais le plus vulnérable, où j'avais plus que les autres besoin de son attention, mais non...
Et le pire c'est que j'ai accepté. J'ai accepté la situation, J'ai accepté les nuits à pleurer seule parce qu'il n'était pas là auprès de nous, et qu'il préférait sortir.
Mais aujourd’hui, je veux réapprendre.
Je veux réapprendre à recevoir.
Sans me crisper.
Sans vouloir rendre.
Sans me sentir coupable.
Parce que non, il ne faut pas “mériter” la gentillesse.
Tu n’as rien à prouver pour avoir droit à un sourire.
Tu n’as pas à “donner quelque chose en retour” pour mériter un geste tendre.
La gentillesse vraie, la tendresse sincère, c’est un langage de l’âme.
Et tu y as droit. Juste parce que tu existes.
Alors voici ce que je commence à pratiquer, doucement, pour désactiver cette croyance :
1. Dire “merci” et s’arrêter là.
Pas “merci mais fallait pas”.
Pas “merci je te le rendrai”.
Juste :
Merci. Et je respire dans l’inconfort.
2. Me répéter chaque jour :
“Recevoir est naturel.”
“Je n’ai rien à prouver.”
“Je mérite la tendresse, même sans rien offrir en retour.”
3. Noter chaque soir ce que j’ai reçu dans la journée.
Même infime. Un sourire, une écoute, une main posée sur l’épaule.
Et écrire à côté :
“Je l’ai reçu. Et c’est suffisant.”
4. Observer mes réflexes de fuite ou de compensation.
Et me dire :
“C’est l’ancienne moi. Aujourd’hui, j’apprends à recevoir.”
Parce que je mérite la gentillesse.
Pas quand je donne.
Pas quand je brille.
Pas quand je fais tout bien.
Juste… parce que je suis là.
Et toi aussi.
Toi aussi tu as du mal à accepter de recevoir sans devoir donner en retour ? Ou au contraire tu sais recevoir avec plaisir et sans culpabiliser ? Viens partager ton expérience pour qu'on avance ensemble sans filtre.